« Ma plus belle truite » : Sébastien Demay

« Ma plus belle truite » : Sébastien Demay

Sébastien Demay

Surprise en Pays Basque, à la recherche des truites de souche

Ma passion pour les truites de souche m’a fait parcourir depuis 20 ans toutes les montagnes de France pour rechercher au toc les espèces de fario préservées de tout alevinage. Pyrénées, Jura, Vosges, Corse, Alpes, Auvergne : je ne compte plus les souvenirs émus en découvrant des poissons aux robes ahurissantes (des œuvres d’art), dans les torrents de haute altitude, dans lesquels je ne croise en général pas un seul pêcheur.
En septembre 2007, j’étais parti découvrir le gave de Saint-Engrâce, qui rejoint le gave de Larrau à Licq-Athérey dans le pays basque. Cette confluence donne naissance au Saison (ou gave de Mauléon), principal affluent du gave d’Oloron. Saint-Engrâce est un village connu pour son église du XIe siècle et les gorges de Kakouetta (en réserve et véritable pépinière de truites de souche). Je logeais pour quelques jours à Saint-Engrâce même, à l’auberge Elichalt tenue par le haut en couleur Ambroise Burguburu. Ambroise me fit rapidement comprendre qu’il ne serait pas insensible à ce que je lui ramène une belle truite (comme toutes les chambres d’hôtes où je passe, ceci dit!). Gentiment, je lui expliquai que je ne pratiquais que du no kill et qu’il n’était pas question pour moi de tuer des poissons aussi magnifiques. Pendant trois jours, il dut se contenter des photos que je prenais avec mon petit APN et que je déchargeais le soir sur mon ordinateur portable (à l’époque, pas de smartphone).

Sainte-Engrâce

L’avant-dernier jour de mon séjour, j’explorais un ruisseau affluent du Saison, le Susselgue. Nous étions en fin de saison, avec des eaux basses, et je pêchais avec n’importe quel insecte trouvé dans les champs ou les bois. J’avais ce jour là de belles sauterelles récoltées dans le champ voisin, qui déclenchaient des attaques très franches. J’avais pris plusieurs belles farios entre 25 et 30cm, ce ruisseau était décidément bien habité… même si la pêche d’un tel ruisseau nécessitait une approche de Sioux. Pour ajouter à cette difficulté, le Susselgue sur sa partie haute n’était pas évident à pêcher car situé en plein bois, bien encombré. Ma canne à fil intérieur téléréglable m’était très pratique pour ce genre de postes. J’arrive devant un petit trou formé par une toute petite chute, et je me dis que logiquement il va y avoir du poisson dans un endroit mieux oxygéné et avec un peu plus de fond qu’ailleurs.

A la première dérive, une violente attaque me conforte dans mon pressentiment, mais instantanément je comprends que je n’ai pas affaire à une truite classique pour ces eaux. C’est très gros pour le ruisseau, et ça se cale bien au fond sous les pierres. Sur 12/100, je suis un peu impuissant ; le trou est petit, mais elle ne veut pas bouger. Je n’ai rien à faire d’autre que d’essayer de l’en déloger. Pas contente, elle sort du trou mais fonce vers la surface et dans une grosse chandelle, elle me casse… Mais en l’ayant vu hors de l’eau, j’ai compris que j’avais affaire à… une arc-en-ciel !
A l’époque, je n’en avais jamais pris, ne pêchant qu’en altitude. Et c’était bien l’ironie de la situation : pêcher dans des torrents et ruisseaux de haute montagne, et se retrouver de façon improbable avec une AEC surdimensionnée pour un ruisseau.
Même si j’étais venu pour les fario de souche, j’étais un peu dépité de ne pas avoir pu combattre et mettre au sec ce poisson. En revenant le soir à l’auberge, je raconte l’histoire à Ambroise… qui m’explique qu’il y a une pisciculture tout en bas du Susselgue, non loin de sa confluence avec le Saison ! J’avais croisé le bâtiment en voiture sans comprendre ce que c’était. Je devinais ce qui avait pu se passer : ce poisson était remonté et avait grandi dans la partie haute du Susselgue.
Le lendemain, dernier jour de mon séjour, je retournais donc sur ce poste, en ne mettant pas de bas de ligne : hameçon directement monté sur le corps de ligne en 14/100, qui était jaune fluo… c’était laid, mais c’était mon seul espoir de sortir le poisson , n’ayant aucun autre nylon à ma disposition. Ce que j’avais entendu dire des AEC s’avéra vérifié : les AEC sont des poissons peu méfiants, car moins de 24h après m’avoir cassé, cette truite est revenue au premier passage sur un montage pourtant peu discret. Je mis cinq longues minutes à la fatiguer, pensant qu’à tout moment elle pouvait refaire une chandelle fatale. Je finis par l’échouer (n’étant pas un adepte de l’épuisette), et j’avais du mal à croire ce que je voyais. Une superbe AEC parfaitement formée de 51cm et 1,5 kg, dans un ruisseau de moins de 2m de large !
Je me suis alors dit qu’il n’était pas possible de laisser un tel monstre dans un ruisseau habité par des fario de souche… pour la première fois, je sacrifiais donc une truite, et je savais que j’allais faire un heureux en revenant à l’auberge. Le GSM ne passait pas dans ces vallées reculées, donc je ne pus prévenir Ambroise. Quand je suis revenu à l’auberge, il avait déjà préparé le dîner. Je repartais à Paris le lendemain matin, il allait donc déguster cet AEC sauvage sans moi le lendemain. Ironie additionnelle du sort, je n’allais donc pas pouvoir déguster ma première truite sacrifiée.

Ce n’est pas ma plus belle truite, mais c’est la rencontre la plus atypique que j’ai faite en 20 ans de sorties dans des torrents de haute montagne. Et elle a fait le bonheur de mes hôtes, Ambroise ayant rameuté tout le village, avec photos, pesée… les vieux du village n’avaient jamais vu ça, les plaisanteries allèrent bon train sur le fait que je la sortais directement de la pisciculture… un quart d’heure de gloire locale qui m’a bien amusé : tout ça pour une AEC ! Mais une « belle » AEC quand même, en particulier pour une première 🙂

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